Gods of Men 3

Barbara Kloss

Un final en apothéose, entre révélations et bataille épique.
Les Cinq Provinces n’attendent que vous.

Chapitre 1

    Sable alluma la petite bougie et plissa le nez. La cave du boucher empestait la rouille.
    Des pattes de poulet dépassaient des caisses de rangement, les étagères ployaient sous le poids d’innombrables bocaux à saumure et des carcasses d’oiseau pendaient du plafond, donnant à la pièce un aspect macabre avec ses vestiges de vies passées qui suintaient dans chaque recoin. Des guirlandes de boyaux pendaient tels des rideaux de perles, et Sable faillit manquer l’énorme plan de travail, enseveli sous un enchevêtrement de hachoirs ensanglantés, de crochets à viande et de plumes. La cave de Velik était un véritable dépotoir. Rien de bien surprenant.
    Si j’étais Velik, où est-ce que je cacherais des os ?
    Son regard s’attarda sur un bahut.
    Sable longea la table en prenant garde de ne rien heurter, ce qui n’était pas une mince affaire, et ouvrit le tiroir du haut. À l’intérieur, elle trouva des mètres de tissu et de corde, mais pas d’os. Elle ouvrit le tiroir suivant, puis un autre, la mine renfrognée. Ils devaient bien se trouver quelque part. Il en avait rapporté l’après-midi même.
    Enfin, sous la table couverte de victuailles, elle aperçut un énorme baquet de graisse animale. L’extrémité pâle d’un fémur en ressortait.
    Ce n’est pas vraiment là où je les aurais mis, mais je ne suis pas Velik, louées soient les gardiennes.
    Sable s’accroupit à côté de la table, posa sa bougie et saisit le fémur ainsi qu’une articulation de hanche graisseuse. Elle les glissa dans la besace attachée à sa ceinture et replongea la main dans le tas de graisse. Elle venait de saisir un pied de sanglier quand le loquet de la porte de la cave cliqueta.
    Sable étouffa un juron, souffla sa bougie et se précipita sous l’escalier. La porte de la cave s’ouvrit et la lumière d’une lanterne fendit la pénombre.
    — Je sais que tu es là, gronda Velik.
    Ses lourdes bottes firent trembler l’escalier en bois. Par les interstices entre les marches, elle aperçut le reflet d’un hachoir à viande dans sa main. Il s’arrêta au pied de l’escalier.
    — Sors de là, fit-il d’un air goguenard en posant sa lanterne sur la table. Plus tu attendras, plus ce sera douloureux.
    Il se pencha pour la chercher sous le plan de travail. Sable sauta sur l’occasion. Elle fracassa sa lanterne avec le pied de sanglier. Le verre explosa sous l’impact de l’os et le lumignon s’écrasa sur le sol, plongeant la cave dans l’obscurité. Sable bondit dans l’escalier, gravit les marches deux à deux, puis passa la porte et sortit dans l’air frais et hivernal de la nuit.
    Derrière elle, Velik hurla de rage et s’élança à ses trousses.
    — Reviens ici, sale vaurien !
    Sable s’agrippa à un piquet de clôture pour garder son élan et bifurqua sur sa gauche. Encore une dizaine de mètres et elle se retrouverait en plein cœur du village, où elle pourrait semer Velik. Elle sauta par-dessus une autre clôture.
    — Skanden ne te cachera pas éternellement ! gronda Velik sur ses talons.
    Les bottes de Sable martelaient la terre gelée et ses bras redoublaient d’efforts pour gagner en vitesse. Elle devinait les lumières de la place centrale de Skanden devant elle, mais Velik était encore trop proche. Quoi qu’il arrive, elle ne devait pas lui révéler sa destination.
    Dans une décision de dernière minute qu’elle regretterait peut-être, elle tourna à droite, avant de foncer à travers les maisons de la partie basse. De ce côté de la ville, il était possible d’escalader le mur d’enceinte. Sable l’avait déjà fait lorsqu’elle voulait éviter les gardes de l’entrée principale. Mais elle n’avait encore jamais escaladé le mur de nuit.
    Une personne saine d’esprit n’aurait jamais quitté l’enceinte du village à la nuit tombée. Elle choisit de ne pas s’arrêter sur ce « détail ».
    Elle passa en trombe devant la dernière maison, essuya ses mains pleines de graisse sur son pantalon, puis grimpa sur un empilement de barils et s’agrippa à la palissade, remerciant le pic-vert qui y avait pratiqué des prises. Elle se hissa jusqu’au sommet, passa une jambe puis l’autre par-dessus le mur, en prenant soin de ne pas toucher les pierres protectrices fixées avec des pointes et des fines lanières de cuir. Enfin, elle sauta. Accroupie de l’autre côté, elle tendit l’oreille.
    On entendait le bois craquer par-delà le mur. Sable pinça les lèvres et étudia les arbres, méfiante. Elle s’était souvent aventurée à l’orée de la forêt pour ramasser des herbes, mais uniquement de jour. Elle connaissait bien le bois, or la nuit brouillait ses repères. À cette heure tardive, les pins sombres ressemblaient à des sentinelles géantes, protégeant le mal qui couvait en leur sein.
    Elle entendit un grognement au-dessus de sa tête. Levant les yeux, elle vit l’une des bottes de Velik apparaître en haut de la muraille. Sable étouffa un juron, puis bondit sur ses pieds et s’enfonça dans la forêt.
    — Reviens ici, sale petite vermine ! s’égosilla Velik.
    Par les gardiennes, s’il le demandait aussi gentiment…
    Les branches basses lui griffaient les jambes et les mains, lui lacérant le visage. À chaque pas, son sentiment de malaise s’intensifiait. Elle n’aurait pas dû être là. Elle aurait dû faire demi-tour avant que la forêt ne l’engloutisse comme tant d’autres avant elle. En tant que guérisseuse, elle savait de source sûre ce que cette forêt pouvait faire au corps et à l’esprit d’un homme.
    Elle jeta un coup d’œil en arrière ; Velik était toujours à ses trousses.
    Sable poussa un nouveau juron. Elle ne pouvait pas se laisser attraper, mais elle ne pouvait pas non plus s’aventurer plus loin dans les bois.
    Elle n’hésita pas longtemps. S’arrêtant brutalement au niveau d’un rocher, elle avisa les branches basses d’un immense pin dont elle avait extrait la sève le matin même et elle se mit à grimper. Une main après l’autre, elle remonta le long du large tronc en prenant soin de ne pas faire trop de bruit afin de se cacher parmi les branches.
    La silhouette de Velik apparut près du rocher. Sable retint son souffle. Il s’arrêta au pied de l’arbre et balaya les alentours du regard.
    Une seconde.
    Puis deux.
    Ses poumons étaient en feu, mais elle n’osait pas respirer. Il fallait qu’il s’en aille. Ils devaient tous les deux sortir de là au plus vite.
    Enfin, Sable l’entendit pousser un grognement de frustration. Elle regarda à travers les branches et le vit reprendre le chemin du village. Elle laissa échapper un soupir de soulagement, mais resta cachée parmi les branches jusqu’à ce qu’elle soit certaine que Velik était parti, avant de redescendre. Ses bottes venaient à peine de toucher terre qu’elle entendit des murmures.
    Portés par la brise, ils semblaient se démultiplier, feutrés et voilés, mais ils disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus.
    Sable se figea, toujours agrippée à la branche la plus basse. Elle scruta la pénombre, mais la forêt était calme. Les arbres ne lui seraient d’aucun secours. Ils ne l’étaient jamais. Ils gardaient jalousement leurs secrets, mais elle ne pouvait pas leur en vouloir. Ils avaient aussi protégé le sien.
    Sable allait reprendre la direction du village lorsqu’un silence anormal s’abattit soudain alentour. Elle s’arrêta net et scruta la pénombre environnante. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle n’était pas seule.
    L’air soudain mordant lui transperça les os et une odeur de pourriture emplit ses narines, si forte que Sable eut un haut-le-cœur.
    — I… ma… ri…
    Le nom semblait tout droit sorti du passé, obsédant et inhumain. Sable fut saisie de tremblements de la tête aux pieds.
    Elle prit ses jambes à son cou.
    Feuilles mortes et brindilles craquaient sous ses bottes, mais elle poursuivit sa course effrénée, se fiant à sa mémoire pour la guider jusqu’au village.
    — Imari… répétèrent les ténèbres, plus proches cette fois.
    De ses griffes glacées, le vent lui écorcha le dos.
    — Tu… ne peux pas te cacher…
    Une terreur à l’état pur lui fit pousser des ailes. Elle courut plus vite que jamais auparavant et atteignit enfin la muraille.
    Elle se hissa à la force des bras, s’aidant des interstices dans le bois. Ses mains glissèrent par deux fois tant elle était fébrile. Elle étouffa un juron et s’agrippa de nouveau à la paroi, s’élevant peu à peu. Enfin, elle passa les jambes par-dessus le mur en évitant les gardiennes, avant de se laisser retomber de l’autre côté. Elle se releva en titubant et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
    Le mur masquait la majeure partie de la forêt, bien qu’elle puisse encore distinguer la silhouette des arbres se détachant sur le ciel étoilé. Les gardiennes au sommet du mur ne s’étaient pas réveillées. Elle attendit un peu, puis fit quelques pas en arrière pour essayer de voir au-delà de la muraille. Simple vérification.
    Il n’y avait rien.
    Sable s’autorisa enfin à respirer, et essuya ses paumes moites sur son pantalon. Au moins, cette chose, quelle qu’elle soit, n’était pas assez folle pour défier les enchantements séculaires de Skanden. Elle avait repris la direction du village quand un éclat lumineux attira son attention.
    Il provenait de l’une des gardiennes.
    Une faible lumière bleue émanait de la pierre devant elle. Sable se figea. Les gravures circulaires enchevêtrées se mirent à briller avec éclat, s’éveillant lentement. Une deuxième pierre prit vie, ses lignes et ses courbes irradiant comme la première.
    Placées à intervalles réguliers, les gardiennes – ou pierres protectrices – de Skanden recouvraient tout le périmètre du mur. Elles étaient identiques : de forme ovale, lisses et aplaties comme des disques, avec des symboles gravés sur les deux faces. Ces pierres étaient loin d’être récentes, mais les villages tels que Skanden, nichés au cœur des Landes Sauvages, comptaient sur ces artefacts anciens pour se protéger des dangereux vestiges du Shah qui avaient survécu dans ces régions.
    La plupart des créatures dangereuses se tenaient à l’écart des villages, mais de temps à autre, l’une d’elles s’aventurait assez près pour réveiller une gardienne. Pourtant jamais, au cours de ses dix années passées dans les Landes, Sable n’avait vu l’une de ces pierres émettre un tel éclat, et encore moins deux à la fois.
    Une troisième se manifesta.
    Sable scrutait la pénombre en essayant de trouver ce qui avait réveillé les pierres lorsqu’une ombre surgit dans un panache de fumée. S’échappant de la nuit telle une coulée d’encre, elle s’approcha de l’une des pierres. Sable pria qui voudrait l’entendre pour que les gardiennes tiennent bon.
    L’étrange fumée s’étirait, dansant autour de chaque pierre comme pour tester leur résistance. La lumière des roches protectrices demeurait vive tandis que les ténèbres tentaient de les faire céder.
    Sable savait qu’elle aurait dû fuir, qu’elle aurait dû s’éloigner de la chose qui la pourchassait, mais elle voulait savoir si les gardiennes résisteraient. Dans le cas contraire, il serait vain de courir. Elle le sentait au plus profond de son être. La chose avait prononcé son nom. Son vrai nom. Elle ignorait comment c’était possible, mais si elle l’avait retrouvée là, elle la retrouverait n’importe où.
    La fumée déroula ses anneaux tel un serpent, enserrant l’une des pierres incandescentes. La gardienne siffla et scintilla comme une bougie dont la flamme vacillerait au vent, puis la lumière s’éteignit.
    Sable sentit son estomac se tordre.
    Que le Créateur ait pitié de moi.
    La fumée glissa jusqu’à la pierre suivante, puis celle d’après, les étouffant à tour de rôle comme autant de bougies que l’on éteindrait une à une.
    Sable recula lentement, le regard fixé avec horreur sur la fumée qui s’élevait au-dessus des pierres sombres et dépassait le mur. Elle déroulait ses méandres en direction du sol, se rapprochant de plus en plus.
    L’une des pierres projeta des étincelles. Une sphère de lumière bleue aveuglante en jaillit et fusa en direction de Sable, qui ferma les paupières pour se protéger. Une plainte lancinante rompit le silence, suivie d’un râle…
    Puis plus rien.
    Sable rouvrit les yeux. Le monde était de nouveau plongé dans la pénombre. Seule une pierre palpitait frénétiquement en haut du mur. Comme une balise, un avertissement. Il ne restait aucune trace des ténèbres venues d’un autre monde. Une fois de plus, les ombres se retrouvèrent livrées à elles-mêmes.
 

GODS OF MEN 3

Livre 3/3, 672 p.

Barbara Kloss

Format hardback avec jaquette
+ 2 illustrations couleur sur les pages de garde
+ une surprise

Une symphonie d’étoiles bat au cœur des ténèbres.

Lesté du pouvoir incommensurable du Grand Imposteur, Azir Mubarék est désormais plus puissant que jamais. Alors que Trier est détruite, il se prépare à mettre à genoux le reste des Cinq Provinces, comme il a déjà tenté de le faire plus de cent ans auparavant.

Pour le vaincre, Imari et Jeric doivent rejoindre Corinthe au plus vite et lever une armée. Mais Jeric a laissé on pays il y a déjà plus de deux mois, et il craint que son trône n’ait été usurpé en son absence. Sans compter qu’Imari, dont le talla s’est malencontreusement brisé, doit trouver un autre moyen de canaliser son pouvoir si elle veut espérer jouer son rôle dans la bataille qui menace de tout engloutir.

Le dernier combat pour la liberté. Le dernier chant pour sa destinée.

Avertissement

Le roman présent comporte des scènes de violence physique et psychologique.

Gods of Men 3