Gods of Men

Barbara Kloss

Comment survivre lorsqu’on est doué de pouvoirs magiques dans un monde qui rejette tout ce qui touche de près ou de loin à la sorcellerie ?

Prologue

    Imari se tenait sur le toit du palais, les orteils au-dessus du vide. Le vent chaud du désert s’insinua sous ses vêtements fins, gonflant les jambes de son pantalon ample comme deux petites voiles. Elle cligna des yeux et des grains de sable craquèrent sous ses dents. Sacrée rafale !
    Elle avait toujours aimé la vue de ce côté du palais. Un immense soleil orange flottait sur les monts Baraga, tel un gigantesque ballon, nimbant le ciel environnant des couleurs des feux de Ricón. Son frère aîné disait qu’il s’agissait d’un feu magique, mais Imari savait que la magie n’existait pas dans les Cinq Provinces. Leurs ancêtres s’en étaient assurés. Et elle avait bien vu la poudre qu’il avait jetée dans les flammes.
    Plein Sud, une couverture de nuages bleuâtres et boursouflés annonçait les interminables étendues désertiques de Ziyan, comme son peuple l’appelait – ou les Grandes Friches pour le reste des Cinq Provinces. Là-bas, le ciel était perpétuellement instable et menaçant. Même si Ziyan ne se trouvait qu’à quelques jours de route du palais, elle n’avait jamais été autorisée à s’en approcher.
    Imari avait entendu parler de voyageurs qui avaient bravé la mer de sable à la recherche de trésors abandonnés par un peuple oublié. Ils n’étaient jamais revenus. Vana, sa kunari, prétendait que ces aventuriers avaient trouvé refuge dans une oasis au fin fond du désert et avaient (tout simplement) décidé de ne pas revenir. Ricón, quant à lui, affirmait que le désert les avait engloutis vivants. Imari accordait plus de crédit à la version de Ricón. C’était le seul à ne pas la traiter comme si elle avait neuf ans. Ce qui était pourtant le cas.
    — Zurina Imari… ?
    C’était Vana. L’heure de sa représentation était arrivée.
    — Sano kei, fit Imari en descendant du toit.
    Vana contournait déjà le palmier en pot lorsqu’Imari sauta du parapet et atterrit sur les dalles chaudes et poussiéreuses en contrebas.
    Vana fronça les sourcils, agitant les sandales d’Imari comme deux pièces à conviction.
    — Zurina, vous savez que le zar Branón n’approuve pas que vous escaladiez le palais comme un chimpanzé.
    — C’est bien pour ça que je m’arrange pour qu’il ne me voie pas, sourit-elle.
    Vana leva les yeux au ciel, le soleil couchant se reflétant dans ses iris sombres, et fit signe à Imari d’approcher. Cette dernière traversa la véranda, mais Vana l’attrapa par le bras. Elle essaya désespérément d’arranger la tresse lâche d’Imari, puis humecta son pouce et tenta de faire disparaître une tache qui lui souillait la joue. Avec un soupir impuissant, Vana tendit ses sandales à la jeune fille et la poussa vers l’arche.
    Imari se chaussa, puis pénétra dans l’imposante salle à manger où étaient réunis les invités de son père, le zar d’Istraa. Celui-ci donnait souvent des réceptions, mais ce soir-là, le dîner était particulièrement important. Le fossé entre les deux territoires les plus puissants des Cinq Provinces – Corinthe et Brevera – se creusait de plus en plus, comme du temps de la rébellion, quand son père était jeune. À présent, il craignait pour leur frontière. Ce dîner visait à solliciter l’aide des rois des différents districts d’Istraa afin de renforcer la frontière nord, qui séparait la province des autres.
    Bien entendu, son père ne lui avait rien dit de tout cela. Elle tenait ces informations de Ricón. Il était le seul à ne rien lui cacher. Et s’il ne lui avait pas expliqué la chose, elle n’aurait pas accepté de jouer ce soir-là.
    Elle aimait jouer devant un public, mais ces derniers jours, elle s’était sentie étrange à chaque représentation. Elle avait des fourmis dans les doigts, et ça ne s’arrêtait pas là. Les picotements se propageaient le long de ses bras et dans sa poitrine, où ils semblaient s’accumuler et forcer contre ses poumons, l’empêchant de respirer. Elle s’était dit qu’elle couvait peut-être quelque chose, et elle en aurait touché un mot à son père si elle n’avait su combien ce dîner était important pour lui.
    À bien y réfléchir, Ricón ne devrait peut-être pas tout lui raconter.
    On avait servi aux convives des assiettes de fruits de saison et du thé épicé pour clore le dîner et accompagner la prestation d’Imari. Tant mieux. Si le souffle venait à lui manquer, cela passerait peut-être inaperçu.
    Anja, la zura de Trier et l’épouse de son père, attendait à côté du tabouret placé à l’extrémité de la pièce, et martelait le siège de ses longs doigts avec impatience. Ses yeux lourdement fardés se plissèrent en apercevant Imari, puis elle jeta un regard accusateur à Vana. Imari ne chercha pas à voir l’expression de cette dernière ; elle l’imaginait assez bien comme cela.
    Anja lui tendit la petite flûte en os et se pencha vers elle, comme pour lui donner un baiser d’encouragement.
    — J’espère que tu accorderas plus d’importance à ta prestation de ce soir qu’à ton apparence, chuchota-t-elle.
    Imari baissa les yeux et sentit ses joues s’empourprer. Elle voulait qu’Anja l’apprécie. Vraiment. Anja n’était pas méchante avec elle, mais elle ne l’avait jamais comprise. En plus de cela, Imari lui rappelait constamment l’infidélité de son mari. C’était comme si elle ne pouvait la regarder sans voir la vile tentatrice derrière sa conception. Quelle qu’elle soit. Imari n’avait pas la moindre idée de son identité. Personne n’en parlait. Pas même Ricón.
    Le regard d’Anja glissa une fois de plus sur elle, comme pour dire « qu’ai-je bien pu faire aux sieta pour mériter ça ? », puis elle retourna à table.
    Vana se tenait près de l’une des grandes colonnes. Imari ne pourrait chercher aucun réconfort auprès d’elle.
    Elle grimpa sur le tabouret et posa ses pieds sur le support. Elle était trop petite pour toucher le sol en travertin. La première personne qu’elle aperçut depuis son perchoir fut son frère Kaï, assis entre deux rois des districts de l’Ouest. Les cheveux d’onyx de Kaï étaient attachés en une longue queue de cheval nette et serrée comme Imari n’avait jamais réussi à en faire, et il portait en bandoulière, par-dessus sa tunique blanche, une écharpe couleur bronze indiquant sa qualité de zur de Trier. Il était bien trop pris par sa conversation avec les deux rois pour croiser son regard. Les invités de marque ne manquaient pas ce soir-là – elle en reconnaissait certains, d’autres non. Elle aperçut enfin Ricón, assis à côté de leur père.
    Ses longs cheveux noirs étaient détachés, mais impeccablement peignés. Tout comme Kaï, il portait la traditionnelle écharpe couleur bronze. La sienne arborait cependant une bande noire brodée à l’épaule, le désignant ainsi comme l’aîné et héritier de Trier. Il s’entretenait avec un homme âgé à la tresse noire et argentée, lorsque le regard d’Imari lui fit lever les yeux. Un rictus naquit sur ses lèvres, puis se transforma en un véritable sourire quand il aperçut l’accoutrement de sa sœur.
    Au même moment, son père jeta un œil vers elle, manifestement joyeux. Elle capta l’instant précis où il découvrit sa tenue négligée, et au lieu de voir la déception poindre sur son visage, elle préféra reporter son attention sur sa flûte. Elle plia les jambes, porta l’instrument à ses lèvres, puis prit une profonde inspiration, ferma les yeux et se mit à jouer.
    C’était son père qui lui avait imposé le morceau. Il s’agissait de la ballade d’Istraa, une composition qui relatait l’histoire de la guerre avec Ziyan, anciennement connue sous le nom de Sol Velor. Imari ne connaissait pas tous les détails de ce conflit, mais elle avait été forcée d’en mémoriser les moments clés grâce aux cours dispensés par la consciencieuse Vana.
    Un peu plus d’un siècle auparavant, cette guerre avait presque détruit les Cinq Provinces. Azir Mubarék en avait été le fer de lance. À la tête des Liagés – nom donné aux Sol Veloriens nés avec les dons surnaturels du Shah –, il s’était soi-disant laissé consumer par ses facultés. Mais le monde entier avait su unir ses forces pour l’arrêter, grâce au ciel !
    La ballade était bien trop pompeuse au goût d’Imari, mais les invités de son père semblaient apprécier. Lorsque la dernière note retentit, tous se levèrent pour l’acclamer. Les applaudissements de Ricón étaient de loin les plus sonores, et son large sourire laissait voir à quel point il savait qu’elle détestait ce morceau.
    Les invités se mirent ensuite à l’aise, ce qui signifiait qu’elle avait carte blanche pour le reste du programme. Elle continua à jouer, optant pour d’autres morceaux parmi les favoris d’Istraa. Elle les enchaîna avec fluidité, mais au moment d’amorcer le quatrième, Soul a mon Sieta, elle hésita.
    Une longue note, légère, perdura. Incertaine et vacillante.
    On eût dit que la flûte refusait de jouer Soul a mon Sieta. Comme si elle s’était éveillée pour se jeter à corps perdu sur cette note, et qu’elle ne voulait plus la libérer à présent qu’elle la maîtrisait. Pire encore, elle semblait vouloir décider de la note suivante !
    Imari allait manquer d’air pour son mi bémol. Elle termina enfin la note et enchaîna avec un la dièse, une quinte plus bas.
    La note inspira, se gonflant comme si elle ouvrait ses poumons pour la première fois. Quelque chose remua en elle. L’improvisation – l’instinct –, se dit-elle. Elle ne savait pas à quel point elle se trompait.
    Elle suivit cet instinct dans une gamme pentatonique, virevoltant avec fioritures et crescendo. Elle se perdit dans les notes, dans la mélodie, dériva sur les sons qui imprégnaient chaque espace vide, se coulant sous la porte et sur les toits du palais qu’elle avait gravis à peine quelques instants plus tôt. Cette fois, cependant, elle bondit, s’élança en apesanteur dans les airs, tout droit vers les monts Baraga. Non, pas les monts Baraga.
    Ziyan.
    Emportée par une bourrasque, elle se laissa secouer et malmener, entraîner de plus en plus loin par les griffes du vent, sur les terres en friche interdites. Les mélodies qui sortaient à plein volume de sa flûte se faisaient l’écho de la voix qu’elle n’avait pas. Ses doigts voltigeaient de plus en plus vite, les notes s’élevaient et retombaient comme les vagues des hautes dunes. Dans un dernier coup de vent, le ciel s’en délesta et elle fut projetée en tournoyant vers le sol dans un tourbillon de musique. Elle dégringola en spirale, accompagnée par une mélodie à la folie étourdissante, puis…
    Le silence.
    À bout de souffle, Imari détacha la flûte de ses lèvres, le corps trempé de sueur. Elle avait des fourmis dans les bras, une pression sourde dans la poitrine. Les symboles gravés sur sa flûte irradiaient d’un blanc livide, s’estompant sous son regard.
    Elle leva les yeux. Elle ne se trouvait pas à Ziyan. Elle était au palais, assise sur son tabouret. Une main sur le cœur, elle s’efforça de recouvrer son calme avant de jeter un œil aux convives.
    Ils étaient tous affalés dans leur assiette. Même Ricón était étalé sur la table, le menton dans la crème, la main encore autour de sa coupe. Toute une cour… endormie.
    Du moins, c’est ce qu’elle espérait.
    Les membres tout tremblant, Imari glissa du tabouret. L’air grésillait et bourdonnait étrangement, et ses bras et ses jambes fourmillaient d’énergie. Elle s’approcha de Vana. Sa kunari était affalée contre la colonne à laquelle elle s’était adossée, le menton sur sa poitrine généreuse.
    — Vana ! chuchota Imari.
    Elle glissa sa flûte sous son aisselle et caressa, de l’autre main, le visage de sa kunari.
    Vana ne bougea pas.
    Avec une horreur grandissante, Imari pressa son oreille contre son cœur.
    Elle perçut un battement. Lent, mais bien présent.
    Alors, Imari comprit. Elle sut qu’elle en était la cause. Le pouvoir de la musique avait plongé les convives dans un profond sommeil.
    Ou plutôt… le pouvoir du Shah.
    Son pouls battait frénétiquement dans ses tempes. Si les invités de son père prenaient conscience de ce qu’elle avait fait – de ce qu’elle avait le pouvoir de faire – et si la nouvelle se répandait…
    Des bruits métalliques s’élevèrent de la table. Imari tourna la tête. Quelques invités commençaient à émerger. Ricón se redressa lentement, une main sur la tempe comme pour indiquer un terrible mal de crâne. Son regard balaya la pièce et se posa sur Imari.
    — Va-t’en, murmura-t-il.
    La peur dans son regard lui retourna les tripes.
    Elle prit ses jambes à son cou, franchit en trombe les portes latérales de la salle à manger, et s’arrêta net.
    Sa petite sœur, Soraï, était étendue sur le sol, tout contre la porte. Elle était sans doute venue assister à son spectacle. Soraï adorait entendre Imari jouer et elle avait piqué une crise quand sa mère lui avait interdit d’assister au dîner. Visiblement, elle avait bravé l’interdiction maternelle. Anja réprimandait souvent Imari pour les mauvaises habitudes qu’elle inculquait à la plus jeune princesse de Trier.
    La musique avait aussi affecté Soraï. Imari jeta un coup d’œil autour d’elle. Le couloir sombre et étroit avait beau être désert, il était préférable que personne ne soit témoin de la désobéissance de Soraï.
    — Mi a’drala, chuchota Imari en se penchant sur sa sœur pour la réveiller.
    Mais Soraï, immobile, ne respirait plus, comprit Imari.
    Elle lâcha sa flûte, qui rebondit sur le sol, mais elle l’entendit à peine. Elle appuya son oreille contre la poitrine de sa petite sœur.
    Seul le silence l’accueillit. Alors, Imari s’enfuit.

Chapitre 1

    Sable alluma la petite bougie et plissa le nez. La cave du boucher empestait la rouille.
    Des pattes de poulet dépassaient des caisses de rangement, les étagères ployaient sous le poids d’innombrables bocaux à saumure et des carcasses d’oiseau pendaient du plafond, donnant à la pièce un aspect macabre avec ses vestiges de vies passées qui suintaient dans chaque recoin. Des guirlandes de boyaux pendaient tels des rideaux de perles, et Sable faillit manquer l’énorme plan de travail, enseveli sous un enchevêtrement de hachoirs ensanglantés, de crochets à viande et de plumes. La cave de Velik était un véritable dépotoir. Rien de bien surprenant.
    Si j’étais Velik, où est-ce que je cacherais des os ?
    Son regard s’attarda sur un bahut.
    Sable longea la table en prenant garde de ne rien heurter, ce qui n’était pas une mince affaire, et ouvrit le tiroir du haut. À l’intérieur, elle trouva des mètres de tissu et de corde, mais pas d’os. Elle ouvrit le tiroir suivant, puis un autre, la mine renfrognée. Ils devaient bien se trouver quelque part. Il en avait rapporté l’après-midi même.
    Enfin, sous la table couverte de victuailles, elle aperçut un énorme baquet de graisse animale. L’extrémité pâle d’un fémur en ressortait.
    Ce n’est pas vraiment là où je les aurais mis, mais je ne suis pas Velik, louées soient les gardiennes.
    Sable s’accroupit à côté de la table, posa sa bougie et saisit le fémur ainsi qu’une articulation de hanche graisseuse. Elle les glissa dans la besace attachée à sa ceinture et replongea la main dans le tas de graisse. Elle venait de saisir un pied de sanglier quand le loquet de la porte de la cave cliqueta.
    Sable étouffa un juron, souffla sa bougie et se précipita sous l’escalier. La porte de la cave s’ouvrit et la lumière d’une lanterne fendit la pénombre.
    — Je sais que tu es là, gronda Velik.
    Ses lourdes bottes firent trembler l’escalier en bois. Par les interstices entre les marches, elle aperçut le reflet d’un hachoir à viande dans sa main. Il s’arrêta au pied de l’escalier.
    — Sors de là, fit-il d’un air goguenard en posant sa lanterne sur la table. Plus tu attendras, plus ce sera douloureux.
    Il se pencha pour la chercher sous le plan de travail. Sable sauta sur l’occasion. Elle fracassa sa lanterne avec le pied de sanglier. Le verre explosa sous l’impact de l’os et le lumignon s’écrasa sur le sol, plongeant la cave dans l’obscurité. Sable bondit dans l’escalier, gravit les marches deux à deux, puis passa la porte et sortit dans l’air frais et hivernal de la nuit.
    Derrière elle, Velik hurla de rage et s’élança à ses trousses.
    — Reviens ici, sale vaurien !
    Sable s’agrippa à un piquet de clôture pour garder son élan et bifurqua sur sa gauche. Encore une dizaine de mètres et elle se retrouverait en plein cœur du village, où elle pourrait semer Velik. Elle sauta par-dessus une autre clôture.
    — Skanden ne te cachera pas éternellement ! gronda Velik sur ses talons.
    Les bottes de Sable martelaient la terre gelée et ses bras redoublaient d’efforts pour gagner en vitesse. Elle devinait les lumières de la place centrale de Skanden devant elle, mais Velik était encore trop proche. Quoi qu’il arrive, elle ne devait pas lui révéler sa destination.
    Dans une décision de dernière minute qu’elle regretterait peut-être, elle tourna à droite, avant de foncer à travers les maisons de la partie basse. De ce côté de la ville, il était possible d’escalader le mur d’enceinte. Sable l’avait déjà fait lorsqu’elle voulait éviter les gardes de l’entrée principale. Mais elle n’avait encore jamais escaladé le mur de nuit.
    Une personne saine d’esprit n’aurait jamais quitté l’enceinte du village à la nuit tombée. Elle choisit de ne pas s’arrêter sur ce « détail ».
    Elle passa en trombe devant la dernière maison, essuya ses mains pleines de graisse sur son pantalon, puis grimpa sur un empilement de barils et s’agrippa à la palissade, remerciant le pic-vert qui y avait pratiqué des prises. Elle se hissa jusqu’au sommet, passa une jambe puis l’autre par-dessus le mur, en prenant soin de ne pas toucher les pierres protectrices fixées avec des pointes et des fines lanières de cuir. Enfin, elle sauta. Accroupie de l’autre côté, elle tendit l’oreille.
    On entendait le bois craquer par-delà le mur. Sable pinça les lèvres et étudia les arbres, méfiante. Elle s’était souvent aventurée à l’orée de la forêt pour ramasser des herbes, mais uniquement de jour. Elle connaissait bien le bois, or la nuit brouillait ses repères. À cette heure tardive, les pins sombres ressemblaient à des sentinelles géantes, protégeant le mal qui couvait en leur sein.
    Elle entendit un grognement au-dessus de sa tête. Levant les yeux, elle vit l’une des bottes de Velik apparaître en haut de la muraille. Sable étouffa un juron, puis bondit sur ses pieds et s’enfonça dans la forêt.
    — Reviens ici, sale petite vermine ! s’égosilla Velik.
    Par les gardiennes, s’il le demandait aussi gentiment…
    Les branches basses lui griffaient les jambes et les mains, lui lacérant le visage. À chaque pas, son sentiment de malaise s’intensifiait. Elle n’aurait pas dû être là. Elle aurait dû faire demi-tour avant que la forêt ne l’engloutisse comme tant d’autres avant elle. En tant que guérisseuse, elle savait de source sûre ce que cette forêt pouvait faire au corps et à l’esprit d’un homme.
    Elle jeta un coup d’œil en arrière ; Velik était toujours à ses trousses.
    Sable poussa un nouveau juron. Elle ne pouvait pas se laisser attraper, mais elle ne pouvait pas non plus s’aventurer plus loin dans les bois.
    Elle n’hésita pas longtemps. S’arrêtant brutalement au niveau d’un rocher, elle avisa les branches basses d’un immense pin dont elle avait extrait la sève le matin même et elle se mit à grimper. Une main après l’autre, elle remonta le long du large tronc en prenant soin de ne pas faire trop de bruit afin de se cacher parmi les branches.
    La silhouette de Velik apparut près du rocher. Sable retint son souffle. Il s’arrêta au pied de l’arbre et balaya les alentours du regard.
    Une seconde.
    Puis deux.
    Ses poumons étaient en feu, mais elle n’osait pas respirer. Il fallait qu’il s’en aille. Ils devaient tous les deux sortir de là au plus vite.
    Enfin, Sable l’entendit pousser un grognement de frustration. Elle regarda à travers les branches et le vit reprendre le chemin du village. Elle laissa échapper un soupir de soulagement, mais resta cachée parmi les branches jusqu’à ce qu’elle soit certaine que Velik était parti, avant de redescendre. Ses bottes venaient à peine de toucher terre qu’elle entendit des murmures.
    Portés par la brise, ils semblaient se démultiplier, feutrés et voilés, mais ils disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus.
    Sable se figea, toujours agrippée à la branche la plus basse. Elle scruta la pénombre, mais la forêt était calme. Les arbres ne lui seraient d’aucun secours. Ils ne l’étaient jamais. Ils gardaient jalousement leurs secrets, mais elle ne pouvait pas leur en vouloir. Ils avaient aussi protégé le sien.
    Sable allait reprendre la direction du village lorsqu’un silence anormal s’abattit soudain alentour. Elle s’arrêta net et scruta la pénombre environnante. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle n’était pas seule.
    L’air soudain mordant lui transperça les os et une odeur de pourriture emplit ses narines, si forte que Sable eut un haut-le-cœur.
    — I… ma… ri…
    Le nom semblait tout droit sorti du passé, obsédant et inhumain. Sable fut saisie de tremblements de la tête aux pieds.
    Elle prit ses jambes à son cou.
    Feuilles mortes et brindilles craquaient sous ses bottes, mais elle poursuivit sa course effrénée, se fiant à sa mémoire pour la guider jusqu’au village.
    — Imari… répétèrent les ténèbres, plus proches cette fois.
    De ses griffes glacées, le vent lui écorcha le dos.
    — Tu… ne peux pas te cacher…
    Une terreur à l’état pur lui fit pousser des ailes. Elle courut plus vite que jamais auparavant et atteignit enfin la muraille.
    Elle se hissa à la force des bras, s’aidant des interstices dans le bois. Ses mains glissèrent par deux fois tant elle était fébrile. Elle étouffa un juron et s’agrippa de nouveau à la paroi, s’élevant peu à peu. Enfin, elle passa les jambes par-dessus le mur en évitant les gardiennes, avant de se laisser retomber de l’autre côté. Elle se releva en titubant et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
    Le mur masquait la majeure partie de la forêt, bien qu’elle puisse encore distinguer la silhouette des arbres se détachant sur le ciel étoilé. Les gardiennes au sommet du mur ne s’étaient pas réveillées. Elle attendit un peu, puis fit quelques pas en arrière pour essayer de voir au-delà de la muraille. Simple vérification.
    Il n’y avait rien.
    Sable s’autorisa enfin à respirer, et essuya ses paumes moites sur son pantalon. Au moins, cette chose, quelle qu’elle soit, n’était pas assez folle pour défier les enchantements séculaires de Skanden. Elle avait repris la direction du village quand un éclat lumineux attira son attention.
    Il provenait de l’une des gardiennes.
    Une faible lumière bleue émanait de la pierre devant elle. Sable se figea. Les gravures circulaires enchevêtrées se mirent à briller avec éclat, s’éveillant lentement. Une deuxième pierre prit vie, ses lignes et ses courbes irradiant comme la première.
    Placées à intervalles réguliers, les gardiennes – ou pierres protectrices – de Skanden recouvraient tout le périmètre du mur. Elles étaient identiques : de forme ovale, lisses et aplaties comme des disques, avec des symboles gravés sur les deux faces. Ces pierres étaient loin d’être récentes, mais les villages tels que Skanden, nichés au cœur des Landes Sauvages, comptaient sur ces artefacts anciens pour se protéger des dangereux vestiges du Shah qui avaient survécu dans ces régions.
    La plupart des créatures dangereuses se tenaient à l’écart des villages, mais de temps à autre, l’une d’elles s’aventurait assez près pour réveiller une gardienne. Pourtant jamais, au cours de ses dix années passées dans les Landes, Sable n’avait vu l’une de ces pierres émettre un tel éclat, et encore moins deux à la fois.
    Une troisième se manifesta.
    Sable scrutait la pénombre en essayant de trouver ce qui avait réveillé les pierres lorsqu’une ombre surgit dans un panache de fumée. S’échappant de la nuit telle une coulée d’encre, elle s’approcha de l’une des pierres. Sable pria qui voudrait l’entendre pour que les gardiennes tiennent bon.
    L’étrange fumée s’étirait, dansant autour de chaque pierre comme pour tester leur résistance. La lumière des roches protectrices demeurait vive tandis que les ténèbres tentaient de les faire céder.
    Sable savait qu’elle aurait dû fuir, qu’elle aurait dû s’éloigner de la chose qui la pourchassait, mais elle voulait savoir si les gardiennes résisteraient. Dans le cas contraire, il serait vain de courir. Elle le sentait au plus profond de son être. La chose avait prononcé son nom. Son vrai nom. Elle ignorait comment c’était possible, mais si elle l’avait retrouvée là, elle la retrouverait n’importe où.
    La fumée déroula ses anneaux tel un serpent, enserrant l’une des pierres incandescentes. La gardienne siffla et scintilla comme une bougie dont la flamme vacillerait au vent, puis la lumière s’éteignit.
    Sable sentit son estomac se tordre.
    Que le Créateur ait pitié de moi.
    La fumée glissa jusqu’à la pierre suivante, puis celle d’après, les étouffant à tour de rôle comme autant de bougies que l’on éteindrait une à une.
    Sable recula lentement, le regard fixé avec horreur sur la fumée qui s’élevait au-dessus des pierres sombres et dépassait le mur. Elle déroulait ses méandres en direction du sol, se rapprochant de plus en plus.
    L’une des pierres projeta des étincelles. Une sphère de lumière bleue aveuglante en jaillit et fusa en direction de Sable, qui ferma les paupières pour se protéger. Une plainte lancinante rompit le silence, suivie d’un râle…
    Puis plus rien.
    Sable rouvrit les yeux. Le monde était de nouveau plongé dans la pénombre. Seule une pierre palpitait frénétiquement en haut du mur. Comme une balise, un avertissement. Il ne restait aucune trace des ténèbres venues d’un autre monde. Une fois de plus, les ombres se retrouvèrent livrées à elles-mêmes. 

GODS OF MEN

Trilogie

Barbara Kloss

La magie est interdite dans les Cinq Provinces, et ceux qui en sont doués depuis la naissance, aussi appelés Liagés, sont pourchassés et tués.

Imari, dite “Sable”, ignore que sa musique renferme un pouvoir, jusqu’au jour où, à peine âgée de neuf ans, elle arrête par accident le cœur de sa petite sœur avec sa flûte, la tuant sur le coup. Craignant pour sa propre vie, elle s’enfuit et trouve refuge dans les Landes Sauvages. Là, Sable se terre sous le poids de la culpabilité, et survit en tant que guérisseuse. Mais peut-elle réellement échapper à son passé ?

Jeric “Jos” Angevin est prince de Corinthe. Surnommé le Loup, il a fait de la traque des Liagés l’œuvre de sa vie. Sa rencontre avec Sable va changer son destin à tout jamais.

Gods of Men trilogie collector

C’est avant tout pour la musique que j’ai écrit cette histoire. J’en suis passionnée. J’ai étudié le piano toute ma vie, et la musique est un langage qui parle à mon âme. Elle convainc, elle émeut, elle mobilise mes émotions comme rien d’autre. Pour moi, elle est de nature magique, et c’est de là que vient le pouvoir de Sable/Imari.

Ce qui m’amène à la deuxième raison qui ma poussée à écrire cette histoire : j’ai l’intime conviction que les relations ont le pouvoir surnaturel de changer le monde.

J’aime raconter des histoires. Mais ce que j’adore avec la fantasy en particulier, c’est la possibilité de prendre les problèmes de notre monde et de les confronter avec la toile de fond d’un autre univers. Le nôtre nous paraît souvent tellement sombre. Connectés comme nous le sommes de nos jours, nous semblons voir toujours plus d’hostilité, de colère et de peur. Les livres nous permettent d’explorer ces sujets, de tenter de creuser jusqu’à leurs racines – ou même de leur échapper. Mais avec la fantasy, nous sommes en mesure d’essayer de rectifier les choses.

La peur est tellement néfaste. C’est de la peur que n’aît l’inimitié entre Imari et Jeric – une peur tissée dans leur culture, issue d’une longue histoire de brutalité et de guerre. En se raccrochant à ces peurs pendant des générations, les gens ont agrandi le fossé, dressé des murs encore plus hauts et, inévitablement, poussé à la haine entre les peuples.

Ce n’est que lorsqu’Imari et Jeric ont été forcés de survivre ensemble que ce mur est tombé. Le désespoir l’avait sapé, mais c’est le développement de leur relation qui a fini par l’abattre. Après la disparition de ce mur de préjugés, ils ont enfin pu voir la personne qui se trouvait de l’autre côté. Pas uniquement une liste de traits de caractère et de mensonges forgés par leur monde, mais un autre être humain, avec une histoire complexe composée d’espoirs, de rêves et de peurs. Ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas si différents l’un de l’autre, et contre toute attente, ils ont commencé à se respecter, peut-être même à s’aimer. C’est ce respect qui les conduit inéluctablement à opérer des changements en eux et dans le monde qui les entoure.

Tel est le pouvoir des relations et mon espoir pour notre propre monde.

Barbara Kloss

Auteure de Gods of Men

Coup de cœur – Librairie Attitude (Lavaur)

Dès les premières pages, l’auteure nous happe dans son univers riche, addictif et complexe (…) Intrigues politiques, guerres de pouvoir, magie… nous sommes entraînés dans un pur roman de fantasy qu’il est impossible de lâcher !!

Coup de cœur – Librairie Doucet (Le Mans)

J’ai eu du mal à refermer ce gros livre ! Outre le fait que [Sable et Jos] forment un duo attachant, on n’a pas le temps de rêvasser ! Ajoutez à cela des complots à la Game of Thrones… et vous avez ce premier tome, publié chez une toute nouvelle maison d’édition prometteuse.

Coup de cœur – Cultura St Maximin

Un premier tome addictif avec un univers développé, approfondi et des personnages complexes. Cette intrigue propose également une romance menée avec émotion et réalisme. Une fantasy young adult mature dans sa construction, subtile dans son exécution !

Coup de cœur – Cultura Auxerre (Romane)

J’ai dévoré ce roman ! L’intrigue est bien construite et on plonge très facilement dans le monde de l’auteur. J’ai beaucoup aimé le personnage de Sable qui fait face à de vraies dilemmes et sait se montrer forte et intelligente !

Coup de cœur – Librairie JMS (Fontenay-le-Fleury)

Roman plein d’aventures, de magie, de romance pour ados et adultes. Nous le recommandons chaudement chez JMS !

Coup de cœur – Cultura Mâcon

Ce roman fantasy est une véritable pépite ! Magie interdite, musique, démons… une aventure palpitante et haletante dans des pays fantastiques (…). Il rentre facilement dans la catégorie de mes romans préférés !

Coup de cœur – Cultura Montivilliers (Myriam)

La magie interdite, une fille aux dons ensorcelants, des complots inattendus. Beaucoup d’action, de fantastique, un brin d’humour et de la romance rythment cette nouvelle série haletante. Sable vous attend dans les cinq provinces pour un voyage semé d’embûches face à un ennemi effrayant.

Coup de cœur – Cultura Terville (Eloïse)

De la magie, des Ombres, des rois, des jarls, des complots, des princesses, des tueurs de sang froid, des princes déchus, des royaumes… tout cela mélangé donne à ce livre un suspense sans interruption !

Coup de cœur – E. Leclerc (Etalondes)

C’est une lecture entraînante au rythme de la musique, présente partout ici.